Mais où sont les patients vulnérables, ceux qui meurent par centaines chaque jour, dans une indifférence croissante ? Où sommes-nous, avec nos cortèges de soucis, de douleurs physiques et morales, d’inquiétudes, d’angoisses ? Où sommes-nous dans le système social citoyen qui est censé affronter cette grave crise ?

S’estimant « absentes des préoccupations des dirigeants », 27 associations de défense des malades à risque de forme grave de la Covid-19 publient une tribune dans le journal Le Monde du 6 avril, sous le titre « Nous refusons que nos vies soient délibérément sacrifiées ». Pleinement associée à ce cri d’alerte, la Ligue contre l’obésité a signé cette tribune, au même titre que des associations de malades du cancer, du diabète ou de la mucoviscidose.

« Mais où sont les patients vulnérables, ceux qui meurent par centaines chaque jour, dans une indifférence croissante ? Où sommes-nous, avec nos cortèges de soucis, de douleurs physiques et morales, d’inquiétudes, d’angoisses ? Où sommes-nous dans le système social citoyen qui est censé affronter cette grave crise ?
Nous sommes quelques lignes parmi les tonnes de chiffres et les masses de commentaires qui bourdonnent sans arrêt. Nous sommes clairement absents des préoccupations politico-sanitaires des dirigeants. Nous sommes à peine des statistiques. Nous sommes une fatalité, nos morts sont devenues acceptables.
Nous sommes dialysés, greffés, atteints de cancers, de pathologies chroniques, rares, mentales, auto-immunes, etc.
Avant l’épidémie, nous devions vivre avec le fardeau déjà bien lourd de nos maladies.
Puis nous avons été décimés par un virus qui pour nous est effroyable, à plusieurs titres.
Qui sait que la mortalité en cas de Covid19 des patients dialysés (17%) et greffés (15%) est sensiblement supérieure à celle des résidents d’EHPAD (13%) , pourtant bien plus âgés ? Celles et ceux qui survivent ne sont pas épargnés par les séquelles et les Covid Longs. Le nombre de greffes d’organes réalisées en 2020 était en chute de plus de 25% par rapport à 2019, et 2021 s’annonce à nouveau dramatique, impliquant d’interminables attentes aux lourdes conséquences.
Qui a mesuré que la tragédie du Covid-19 révèle au monde un brutal et mortel télescopage entre le coronavirus et l’obésité ? Les chiffres conjugués de ces deux épidémies sont accablants : une hospitalisation sur deux en service de réanimation et près d’un décès sur deux à l’hôpital concernent des personnes souffrant d’obésité.
Après le premier confinement une lettre ministérielle précisait : « ces déprogrammations doivent être effectuées tout en garantissant que les patients atteints de cancer doivent être pris en charge dans les meilleures conditions possibles, soit en hospitalisation soit en ambulatoire »
La réalité devant l’ampleur de l’épidémie dans certaines régions amène à déprogrammer des interventions pour cancer qui nécessiteraient un passage en réanimation. Le droit à l’information n’est pas toujours respecté et le « tri de patients » a bien lieu entre les personnes soignées pour Covid et les autres, qui ne bénéficient plus de l’accès aux soins.
Le nombre de diagnostic de cancers a chuté de 23,3% en 2020 en raison des deux premiers confinements.
Les morts provoquées par de cette pandémie ne se limiteront pas à celles du Covid. Il conviendra d’y ajouter les décès ces prochaines années de toutes les personnes privées de soins ou diagnostic.
Nous subissons tous les retards, les déprogrammations, les annulations, les pertes de chances, la dégradation de notre santé physique et mentale.
L’auto-confinement auquel nous nous astreignons nous condamne à l’isolement, à la privation de lien social, à l’éloignement de nos vies professionnelles. Il confronte aussi nos proches à l’immense culpabilité liée au risque de nous contaminer.
Enfin, alors que la menace tant redoutée des tris pour l’accès aux soins critique est plus aiguë que jamais, nous savons que le risque est grand que nos pathologies deviennent de bonnes raisons pour nous priver de nos maigres chances de survie.
On devrait s’insurger contre cette hécatombe, ces drames humains, et tout faire pour les arrêter.
Être vulnérable aujourd’hui, en raison de son âge, ou de son état de santé, c’est être invisible dans l’antichambre de la mort. Telle est notre réalité.
Certes, des associations de patients montent au créneau. Mais dans la cacophonie ambiante, qui entend leur voix ? Nos représentants n’ont pu s’exprimer que de façon très exceptionnelle dans les médias, aux côtés des médecins omniprésents tout au long de la crise.
Nous priver de parole audible, continuer à nous exclure de la chaîne opaque des décisions politico-sanitaire, sont de graves entorses à la démocratie et aux droits humains.
C’est aussi se tirer une balle dans le pied et laisser perdurer des systèmes de prise en charge désespérément médiocres, au mépris de ce que nous ont appris d’autres épidémies comme celle du VIH, et au prix de pertes de chance énormes. Qui mieux que nous peut dire si telle ou telle décision est appropriée à notre condition, et assez réaliste pour être suivie, et donc efficace ? Nous sommes des citoyens, des patients, des humains, dans une démocratie, une république, où nous sommes tous égaux, où la moindre des équités serait de s’occuper de ceux qui en ont le plus besoin.
Nous vivons avec des maladies graves, des traitements contraignants, mais nous pensons, nous travaillons, nous aimons, nous appartenons pleinement à la société. Alors écoutez ceci : nous entendons bien rester vivants.
Il est pour nous clair que les restrictions sanitaires actuelles ne permettent pas et ne sont pas destinées à nous protéger.
A l’instar des médecins qui ont décidé de ne pas rester silencieux ces derniers jours, nous ne voulons plus nous taire. Alors nous le crions : nous n’acceptons pas que nos vies soient délibérément sacrifiées.
Nous demandons que soient prises sans délai les mesures qui ont déjà fait leurs preuves et qui sont les seules à même de freiner rapidement l’épidémie. Le retour à un niveau faible de circulation du virus doit permettre une reprise de contrôle, l’instauration de dispositifs « tester-tracer-isoler » efficaces, et la poursuite d’une campagne de vaccination rapide et ambitieuse.
Ces décisions, nécessaires pour notre protection, sont aussi les seules en mesure de venir à bout de l’épidémie, sans céder à la barbarie.»


Liste complète des signataires

Agnès Maurin, Directrice/ Cofondatrice de la Ligue contre l’obésité
Bertrand Burgalat, Président de Diabète et Méchant
Yvanie Caillé, Présidente de Coopération Patients
Marie-Anne Campese-Faure, Présidente de l’Association Française des Polyarthritiques et des rhumatismes inflammatoires chroniques
Pierre Foucaud, Président de Vaincre la Mucoviscidose
Patrice Fradet, Président d’ARGOS 2001 (Association d’aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires)
Nicolas Giraud, Président de l’Association Française des Hémophiles
Valérie Gisclard, Présidente de l’Union Nationale des Syndromes d’Ehlers-Danlos
Lara Hermann, Présidente de l’Association Française du Syndrome d'Angelman
Joël Jaouen, Président de France Alzheimer
Axel Kahn, Président de la Ligue Nationale Contre le Cancer
Pascal Mélin, Président de SOS Hépatites et Maladies du foie
Nathalie Mesny, Présidente de Renaloo
Françoise Pellet, Présidente de l’Association Française du Gougerot sjögren et des syndromes secs
Philippe Thebault, Président de l’Alliance du Cœur
Christian Trouchot, Président de l’Association des Insuffisants Respiratoires et des Apnéiques du Sommeil
Nathalie Triclin-Conseil, Présidente de l’Alliance Maladies Rares
Danielle-Gabrielle Vacher, Présidente de Association Nationale de Défense contre l'Arthrite Rhumatoïde
Anne-Marie Wilmotte, Présidente de Transhépate